Le petit domaine aux 23 cyprès
Que veulent me montrer ces doigts de verdure tendus vers le ciel bleu.
Chaque jour, Ils m’invitent à lever les yeux vers leurs pointes balançant
au gré du vent.
Ils insistent et me chuchotent : c’est le ciel qui t’interpelle.
Nous, nous indiquons
uniquement la direction.
Le ciel sourit et envoya le soleil qui aussitôt rit de ses mille rayons.
Il me dit, vient petit ta place n’est plus ici.
Ampli de toute cette lumière
ma cécité s’estompa.
Et je vis enfin dans toute son immensité le rayonnement de cette beauté.
Alors le Saint, Béni soit-Il dans sa gloire acquiesça.
B.D.
PHILIBERT LE ROI DES VERS DE TERRE
Un dimanche matin, ma femme, mes enfants et moi-même, nous avons vu arriver par ce chemin en direction de la montagne de Lure, un gros ver de terre avec toute sa
nombreuse famille.
Ils chantaient tous à tue-tête, même les petits, une chanson dont nous ne comprenions pas les paroles.
Très étonné de les voir se déplacer sur le sol,
je m’approche et j’ose timidement leur demander d’où ils viennent et où ils vont ?
Le plus gros prend la parole et me dit :
«Bonjour monsieur le jardinier, ma grande famille et moi-même
Philibert, venons de la montagne de Lure.
Nous avons décidé de déménager car les hivers, chez nous, sont trop longs et trop froids, nous préférons vivre tout nu. Nous n’aimons pas mettre
des chaussettes.
Alors un matin nous avons regardé au loin et mon instinct nous a guidés vers vos jardins.
Permettez-vous que nous nous installions dans la terre de votre jardin ?
Ma
famille et moi sommes affamés. Nous n’avons pas mangé beaucoup cet hiver. Il a été rude chez nous, il y avait trop de neige, la terre était gelée. Mes enfants sont tous maigres, regardez monsieur le jardinier.
Si vous nous acceptez, je vous promets de vous aider à travailler la terre en creusant des galeries, en mangeant de la terre, des déchets végétaux…pour permettre à l’humus de se faire plus facilement
et à l’eau de bien pénétrer dans le sol.
Grâce à notre activité avec celles des bactéries et des microchampignons, les racines de vos légumes vont bien nourrir les plantes et vous
aurez de belles carottes, des salades, du beau maïs, des haricots, des fraises et des framboises… »
Je lui réponds aussitôt :
« Bienvenu dans notre jardin, nous vous accueillons avec
plaisir, car ici nous respectons la nature, nous vivons en paix avec les vers des terres, les insectes, les micros organismes, les bactéries et les microchampignons …
Nous n’utilisons pas de produits chimiques ni dans
la terre ni sur les plantes pour ne pas tuer tous les insectes, les papillons, les oiseaux. Nous ne voulons pas polluer la terre, l’eau, l’air.
Nous pratiquons l’agriculture biologique, organique.
Nous
considérons la terre comme un organisme vivant. Nous aimons la nature, car c’est grâce à elle nous existons et restons en bonne santé.
Nous préférons utiliser des produits naturels qui ne polluent
pas.
Quand les plantes sont malades ou trop souvent attaquées par des insectes, nous soignons d’abord la terre en apportant plus de compost, de minéraux, des extraits de plantes … pour la rééquilibrer
et ainsi aider les plantes à mieux se défendre elle- même des maladies et des insectes.
Car la terre nourrit d’abord les plantes, puis les plantes nourrissent les animaux et l’homme.
Chaque
semaine nous pourrons vous donner encore plus de déchets végétaux, organiques,
à décomposer, quand voulez-vous commencer ? »
A ces mots, Philibert eut les larmes aux yeux.
Il semblait heureux de ce chaleureux accueil.
C’est alors que toute sa grande famille se précipita sur mes pieds pour m’embrasser sur les orteils.
C’était rigolo de voir de si petites
bouches faire des bisous, de plus elles me chatouillaient. Il y en avait partout.
Au bout de six mois, vers la fin de l’automne Philibert et sa famille avaient bien travaillé.
La récolte de légumes
magnifiques était extraordinaire et leur famille s’était multipliée. C’était impossible de les compter, il y en avait plus de deux mille ou trois mille.
Pour les remercier nous avons réuni
tout le monde et avons fait une grande fête avec un bon repas.
Pendant le repas, nous avons consacré Philibert, roi des vers de terre.
Ils vécurent heureux, eurent une très grande famille et une
longue vie.
Tous les hôtes en séjours à la Fée d’Arlane furent émus par cette consécration.
Nous en gardons un très bon souvenir.
Voici la photo
du roi Philibert, que nous avons prise à la fin de la fête.
Bruno Doumaiselle, Jardinier/cuisinier
Poèmes du moment
A Laudes
L’Aurore brillante et vermeille
Prépare le chemin au soleil qui la suit ;
Tout rit aux
premiers traits du jour qui se réveille,
Retirez-vous, démons, qui volez dans la nuit.
Fuyez, songes, troupe menteuse,
Dangereux ennemis par la nuit enfantés :
Et
que fuie avec vous la mémoire honteuse
Des objets qu’à nos sens vous avez présentés.
Chantons l’auteur de la lumière,
Jusqu’au jour où son ordre
a marqué notre fin.
Et qu’en le bénissant notre aurore dernière
Se perde en un midi sans soir et sans matin.
Gloire à toi, Trinité profonde,
Père,
Fils, Esprit Saint, qu’on t’adore toujours,
Tant que l’astre des temps éclairera le monde,
Et quand les siècles même auront fini leur cours.
Jean Racine
Aux arbres
Arbres de la forêt, vous connaissez mon
âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! - vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous
le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit
le coeur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et
du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif
à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème
les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, - je vous atteste, ô bois aimés du ciel! -
J’ai chassé
loin de moi toute pensée amère,
Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère!
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des autres
sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout
ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis
sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre
branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.
Victor Hugo
Le chant de la cigale (haïku)
Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin
Basho
Un vieil étang
Une grenouille saute
Des sons d’eau
Basho
« Crois à l’amour, même s’il est une source de douleur. Ne ferme pas ton cœur. (…) Le lotus préfère s’épanouir au soleil et mourir, plutôt que de vivre en bouton un éternel hiver. »
Rabindranath Tagore, Le jardiner d’amour,
Ed. NRF Poésie Gallimard, page 64
Safran
Dans les doigts délicats qui les cueillent
Les fleurs de safran à peine écloses embaument
Leurs stigmates si convoités après séchage
Réjouissent le palais des gourmets
Par l’attention raffinée d’une cuisinière bienveillante
Lumière
Après la brume du matin
Un rayon de lumière illumine la rosée
Aussitôt le doux relief des collines au loin se dessine
Et dans les corolles des fleurs les abeilles butinent
Etoiles
Les étoiles dans le ciel scintillent
Serait-ce un clin d’œil d’un autre monde
Ou les cillements d’un ange bienveillant ?
Bruno Doumaiselle